L’amour du football a libéré Mackenson de son handicap
La vie de certaines personnes qui assument leur handicap est une source d’inspiration qui libère des sentiments positifs pour transformer une société trop encline à ressasser ses malheurs. Mackenson Pierre illustre le cas des réadaptés après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 au niveau de la population handicapée.
Il court à vive allure sur le terrain de football en terre battue à Santo 18, dans la commune de Croix-des-Bouquets. Son adversaire le bouscule dans ce petit enclos rectangulaire élevé sur le site du centre Zanmi Beni, une institution qui lutte pour l’intégration des personnes handicapées. Il trébuche, résiste et passe adroitement la balle à son coéquipier déporté sur l’aile gauche. A une touche de balle, celui-ci la lui remet. En un éclair, il marque le premier but de la partie. Le buteur jubile en frappant ses deux béquilles en l’air.
Mackenson Pierre, 30 ans, joueur de l’équipe Zaryen, a perdu sa jambe droite lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Il vit aujourd’hui encore sous une tente à Delmas I, près du carrefour de l’aviation. « J’ai passé trois jours sous les décombres », dit-il en appuyant ses béquilles contre l’enclos délimitant le terrain, pour mieux s’asseoir sur un vieux pneu. Étudiant en première année, dans la filière électricité à l’école professionnelle Sainte-Trinité, il était coincé, pétrifié d’angoisse. « J’étais au premier étage de l’école quand un poteau en béton est tombé sur Fabrice, un camarade étudiant et moi. L’un de mes pieds s’était trouvé sous le corps de Fabrice. Il est mort, deux jours plus tard, dans l’après-midi du jeudi, un jour avant mon évacuation, j’ai pu finalement bouger quand on a sorti le corps de mon camarade à l’aide d’une corde. » Il a vécu une éternité sous les décombres avant que ses parents et des amis proches aient pu le retirer de cet enfer de béton.
Amputation, nouvelle vie
A l’hôpital, huit jours plus tard, les médecins amputent Mackenson de son pied droit. « Des idées noires me trottaient par la tête; puis, peu à peu, j’ai pensé à tous ceux qui n’ont pas survécu à la catastrophe. Je me suis dit que j’avais de la chance d’être en vie. Qu’allais-je faire de ma vie ? Eh bien, en Haïti, quand on est un handicapé, on peut devenir chanteur comme Becken », se dit-il, en revenant à la réalité. Celui qui vit avec une déficience physique en Haïti n’est-il pas pénalisé par la société?
A aucun moment, il ne se voyait dans la peau d’un oisif parcourant les rues demandant l’aumône. Le jeune éclopé a même pensé qu’il allait pouvoir gagner sa vie au portail Léogâne, courant après les passagers pour remplir les tap-tap. Quand il avait ses deux pieds, il aimait observer un jeune amputé qui faisait ce travail tout en étant portefaix. Il serait cet homme-là !
Animé de ces pensées positives, il a lutté pour garder le moral afin de ne pas sombrer. « J’ai toujours cru que, malgré mon handicap, d’autres talents allaient germer en moi », explique le jeune homme qui a vaillamment poursuivi ses études et les a bouclées en électricité du bâtiment. Depuis, il fait de petits boulots de temps en temps…
Une rencontre déterminante
Mackenson aimait jouer au football avec ses copains. « Un jour, je les ai vus qui s’en allaient au terrain de jeu. Je ne pouvais les accompagner, j’étais triste à en mourir. » Quelque temps plus tard, il se rend à l’hôpital Bernard Mevs pour sa rééducation. C’est là qu’il rencontre Wilfrid Masséna, ce sportif unijambiste passionné par le développement du handisport en Haïti et son complice Cédieu Fortilus.
« Au moment d’obtenir ma prothèse, Masséna me dit que je pouvais, en tant que jeune, continuer à jouer au football », ajoute l’unijambiste. Il était un peu étonné quand Masséna l’a référé à l’Association des footballeurs amputés haïtiens (AFAH). Dans ce club de footballeurs béquillés, un nouvel horizon s’ouvre à lui. Il se met à l’entraînement. Comme les fleurs attirent le miel, les passionnés du football qui n’ont qu’une jambe s’attirent de plus en plus et se regroupent en équipe pour vivre des moments de joie. « J’ai failli aller à une compétition aux États-Unis en 2011. Par manque d’entraînement et de technique, j’ai raté l’occasion », regrette-t-il.
Mackenson ne s’est pas laissé abattre par l’échec. Avec tous ceux qui ont échoué, Masséna et Fortilus, les cofondateurs d’une équipe dénommée « Zaryen », les ont regroupés. « Zaryen », traduisez : araignée. Tout comme ces invertébrés arthropodes, ils avancent même s’ils sont dépourvus de quelques membres. Finalement, rien n’est impossible. C’est comme si l’amour du football avait libéré Mackenson de son handicap.
« J’ai obtenu mon diplôme, j’ai voyagé avec Zaryen aux Etats-Unis. Nous avons été au Colorado, à New York, à Washington. Nous avons joué dans les stades de Miami. Il se peut que je sois au Brésil prochainement. L’avenir est long pour moi. J’ai des rêves. Même si les entreprises que j’aborde pour un job me jugent sur mon handicap, je reste confiant. Peut-être qu’il me faudrait de bonnes références pour qu’on me prenne enfin au sérieux…»
L’entrevue est terminée. Avant de retourner sur le terrain rejoindre ses camarades qui s’en donnent à coeur joie, le jeune footballeur pointe sa béquille en direction des joueurs et lâche sur un air de contentement :« Ou wè tout ti mesye sa yo k ap jwe la a, tout gen yon viza Etazini senk an ! »
Source: Le Nouvelliste