Le non accès à l’environnement bâti, handicap à l’épanouissement des personnes handicapées
Depuis le séisme meurtrier de 2010, on est de plus en plus convaincu que vivre avec un handicap n’est plus synonyme d’incapacité, de dépendance ou de soumission. Les efforts du gouvernement pour l’intégration et l’épanouissement des personnes déficientes se multiplient mais la problématique de l’accessibilité reste, parmi tant d’autres, un obstacle majeur.
Dans sa maisonnette entre les rues Monseigneur Guilloux et Tiremassse, Marie Jérôme Gourdet s’installe dans son lit, malgré elle. Il est déjà dix heures du matin. Pour faire passer le temps, elle s’accroche à son appareil de radio, son compagnon du matin au soir.
Ayant perdu l’usage de ses jambes suite au séisme de janvier 2010, ses déplacements, autant que les moyens qu’il lui faut pour cela lui font défaut, sont de plus en plus difficiles. Cette malheureuse situation lui impose d’arrêter ses séances de rééducation à l’institut de médecine physique et de réadaptation, Healing Hands for Haïti. « J’ai dû arrêter la thérapie. C’était très difficile d’accéder à l’hôpital et mes déplacements nous coûtaient trop chers », regrette-elle, reconnaissant avoir fait d’énormes progrès grâce à la rééducation. Son état s’est détérioré depuis.
Dans son fauteuil roulant, Marie Jérôme ne peut aller plus loin que le perron de sa maisonnette. « Je ne sors presque jamais », dit-elle. Rester scotcher à une chaise est nouveau et invivable pour cette femme de la cinquantaine qui a pendant longtemps entrepris des activités commerciales entre Haïti et la République Dominicaine.
Le sentier en terre battue et truffé de débris séparant sa petite demeure de la route lui est dangereux et impraticable. « L’environnement où je vis n’est pas du tout adéquat à ma nouvelle façon de vivre. J’envisagerais de partir ailleurs mais c’est encore très difficile », se plaint-elle. Incapable d’entreprendre des activités génératrices de revenus, Marie Jérôme vit, elle et ses deux enfants, grâce à l’aide de sa famille.
Le problème reste entier
D’une manière générale, l’environnement du centre-ville de Port-au-Prince et des environs est inaccessible aux personnes handicapées : Voies publiques, trottoirs, édifices publics et commerciaux, entre autres. On entendra encore longtemps parler de la problématique de l’accessibilité aux personnes handicapées, selon un cadre du Ministère des Travaux Publics, Transport et Communication (MTPTC). Oui, a déclaré notre source, le problème reste entier, malgré les efforts du gouvernement.
Suite au cataclysme du 12 janvier 2010, le nombre de morts enregistré à cause des mauvaises méthodes de construction a été alarmant mais depuis avril 2013 un code de construction est en vigueur et des démarches constructives y ont été renforcées. Bien avant cette date, des guides de construction, de réparation et de renforcement ont vu le jour toujours à l’initiative du MTPTC. Ces manuels visent en tout premier lieu à changer les mauvaises pratiques de construction surtout chez les ouvriers haïtiens. Des séances de formation ont été organisées également mais le MTPTC est loin de l’efficacité espérée. « La leçon a été bien apprise. Il a fallu toute cette perte en vies humaines et l’augmentation du nombre de personnes handicapées en Haïti de plusieurs milliers, pour porter ce nouveau regard sur la façon de construire ici et surtout sur le manque de supervision lors de l’exécution des travaux. On a tous compris que le bâti en Haïti ne répondait pas aux normes parasismiques et c’est regrettable de constater qu’aujourd’hui encore des constructions se font dans les même conditions », déplore notre source. « Notre façon de construire, en plus d’être dangereuse est exclusive », a-t-elle continué. Il faut toutefois apprécier que certains bâtiments recevant du public comme des centres commerciaux facilitent au fur et à mesure l’accès aux personnes handicapées. Ceci reste cependant “une goutte d’eau dans l’océan”.
Des méthodes de construction sont établies par les autorités mais leur application est encore irréelle. Une situation que les autorités prévoient de redresser avec l’application prochaine de nouvelles directives pour la sécurité et l’accessibilité définies dans le cadre de la révision du code de construction élaboré en référence aux codes internationaux.
Il sera fait obligation de prendre en compte l’accessibilité dans la construction de tous bâtiments publics et établissements privés ouverts au public. « L’accessibilité sera l’un des points majeurs d’évaluation avant l’émission du permis de construction par les mairies, informe notre source. Une équipe du MTPTC veillera ensuite à l’exécution du plan proposé, avant de délivrer au propriétaire un certificat d’occupation ».
Si les dispositions dont les responsables espèrent la mise en vigueur dans un an sont mises en place, aucune sanction n’est prévue pour garantir leur application. Le MTPTC compte surtout sur une grande campagne de sensibilisation portant sur le changement de comportement de la population et d’une implication de toutes les entités de l’Etat. « Il faudrait une longue campagne de sensibilisation et d’éducation pour porter la nouvelle génération de dirigeants à avoir une vision globale de développement et porter les différents secteurs de la vie nationale à travailler en vue d’établir une société inclusive », conclut-elle.
Campagne de communication à laquelle s’adonne depuis longtemps le Bureau du Secrétaire d’Etat à l’Intégration des Personnes Handicapées (BSEIPH) par des spots télévisés et à travers sa participation à la mise en place d’une plateforme de réflexion sur l’accessibilité ayant permis l’élaboration de documents destinés à former et à sensibiliser sur la question. En effet, le Bureau du Secrétaire d’Etat continue ses actions pour rendre effectif l’accessibilité des personnes handicapées à tous les niveaux. Après la publication de la loi du 13 mars 2012, il importe de promouvoir l’accessibilité dans l’élaboration du code national de construction.
Plusieurs interventions ont été faites par le BSEIPH dans le cadre de ses actions. Notamment, l’intégration du volet accessibilité dans le cursus du Centre de formation Haïti Tec, des séances de formation à l’intention de professionnels de construction sont réalisées en collaboration avec l’organisation CBM et l’OEA. Des audits sur l’accessibilité dans les bâtiments publics et privés sont en cours de réalisation avec le support de CBM et un projet de réhabilitation d’écoles en partenariat avec le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) et l’USAID est en phase d’exécution. « Du temps, il nous en faut, mais il faut les premiers pas pour y arriver », croit le Secrétaire d’Etat Gérald Oriol Jr.
Bureau du Secrétaire d’Etat à l’Intégration des Personnes Handicapées